Vers le milieu du dix-huitième siècle la flûte à bec était sans doute sur le déclin, au profit de sa rivale la flûte traversière. Depuis le début de l'époque baroque la flûte à bec soliste par excellence était l'alto en fa. Son utilisation semble avoir été très répandue en Angleterre. Lorsque la flûte à bec devait être associée à d'autres instruments, dont le violon, l'usage consistait à transposer sa partie dans une tonalité correspondant à sa tessiture réelle. Cette pratique semble avoir été introduite vers 1710 par deux musiciens, Woodcock et Babell, mais ils ne réussirent pas à redonner ainsi à la flûte à bec une vraie place dans des concerts comportant une diversité d'instruments.
La flûte à bec ténor n'était évidemment pas une nouveauté en elle-même, car elle existait déjà à la renaissance, mais avec une fonction musicale complètement
différente. Plus récemment, à l'époque baroque, il en existait également, construites en France par les Hotteterre, en Allemagne par Denner, à Londres par Pierre Jaillard le Bressan
et Thomas Stanesby lui-même. Toutefois l'idée de l'utiliser de cette manière était sûrement tout à fait inédite.
Pour aller jusqu'au bout de sa pensée, Thomas Stanesby construisit une flûte à bec ténor ayant un profil complètement différent des formes traditionnelles.
Celle-ci fut réalisée en quatre morceaux, avec un corps séparé pour chaque main, et un aspect qui rappelle celui de la flûte traversière, notamment au
niveau du pied.
Cette nouvelle flûte, au caractère éminemment soliste, possède une perce très large qui lui donne une sonorité remarquable, ample dans le grave, claire dans l'aigu,
rappelant celle de la flûte traversière baroque. Son pied est percé d'un double trou qui permet de jouer facilement le do#. Très peu de flûtes à bec baroques sont munies de
doubles trous. Stanesby a percé ces deux trous de telle sorte qu'ils se rencontrent et ne forment plus qu'un seul trou simple à l'intérieur.
Vers 1735, le flûtiste français Lewis (Louis) Merci, établi à Londres, publia des pièces en solo pour cette nouvelle flûte,
mais cela ne suffit pas pour inverser une tendance inexorable. La flûte à bec était malheureusement en perte de vitesse au profit de la flûte traversière, dont la popularité grandissait d'année en année. L'invention de Stanesby ne prit donc pas, et son initiative
fut en fin de compte vouée à l'échec. Il nous reste ce merveilleux instrument qui aurait pu devenir pour longtemps la "Vraie Flûte de Concert", et sauver la flûte à bec de l'oubli. |
Dans l'Encyclopaedia Perthensis Or Universal Dictionary of the Arts, Sciences, Literature, &c, publié à Edimbourg en 1816, on peut lire l'affirmation suivante :
"The English flutes made by the younger Stanesby came the nearest of any to perfection." (Parmi toutes les flûtes anglaises (flûtes à bec), celles du cadet des Stanesby furent les plus proches de la perfection.)
L'allusion à la fin du texte de Stanesby à une éventuelle réticence des flûtistes à apprendre de nouveaux doigtés pourrait laisser entendre que la flûte à bec était surtout devenue
un instrument pour amateurs à cette époque en Angleterre.
Vous pouvez écouter une copie de cet instrument ici |